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« Une belle course » un conte cinématographique de la société française

« Une belle course » un conte cinématographique de la société française

Christian Carion ne refait (presque) jamais le même film. Mais la marque du cinéaste est de traiter de sujets importants en passant par le biais de personnages forts. Ce qui était vrai dans son premier film Une hirondelle a fait le printemps l’est évidemment pour son dernier, Une belle course, qui sort ce mercredi 21 septembre.  Ce conte moderne sur la naissance d’amitié aussi profonde qu’éphémère, même pas une journée, fait défiler sous nos yeux quelques pans de l’histoire française contemporaine au travers de Madeleine que Line Renaud mais aussi Alice Isaaz incarnent magnifiquement. Le tout en un trajet qui mène de la maison de l’héroïne à sa dernière demeure.

Une France issue de la seconde guerre mondiale

Christian Carion montre à quel point cette guerre a construit notre société actuelle mais qu’elle est en train de s’évaporer avec les derniers témoins.  Madeleine l’a vécue jeune-femme, elle a aimé pour la première fois à cette occasion un homme, un soldat américain venu après le débarquement de Normandie. Et les souvenirs qu’elle a conservés de cet amour éphémère seront autant ceux des premiers émois que ceux de ce fils qu’elle a eu de lui. Ces parents aux enfants nés de la guerre sont ceux qui ont reconstruit le pays après 1945. Ceux qui ont eu la charge d’effacer ce qu’ils ont vécu pour les premiers, de penser un autre monde pour les  seconds.

Et c’est bien ce puzzle mémoriel que le cinéaste construit. Une étape dans ce trajet en taxi apporte une autre pièce sur cette guerre. Celle d’une plaque mémorielle, indiquant les noms de victimes des nazis, cachée derrière une cour d’immeuble. Une seconde guerre mondiale désormais conservée pour les quelques derniers survivants, dont Madeleine, de cette période vieille de près de 80 ans maintenant. Et qui ne constitue plus une boussole pour personne.

Une France qui se transforme

Si Madeleine représente le passé, Charles (parfait Dany Boon) représente celle du présent. Il est connecté, il connaît le Paris modernisé et ignore tout de ce que Madeleine lui raconte. Les traces de son Paris à elle sont remplacées par des immeubles modernes. Mais cette course se transforme aussi en un  voyage dans un Paris magnifié – et osons le dire, pas défiguré – qui permet de voir cette cohabitation entre un Paris éternel, jonché de monuments extraordinaires. Le réalisateur nous offre alors trois temporalités urbaines : celle qui est dans la mémoire de Madeleine et qui n’est plus, celle moderne qui constituera peut-être la mémoire de Charles et puis une troisième, éternelle. Et qui fait qu’on reconnaît Paris parmi toutes les autres.

Un film féministe ?

Comme dans les contes d’antan, Christian Carion s’approprie un sujet de société et le filme, parfois crûment, sans édulcorer les images, sans permettre au spectateur de détourner le regard. Ainsi en est-il des violences physiques faites aux femmes, y compris par leur mari. La réaction suscitée par le procès du film chez le spectateur témoigne ô combien de l’évolution du regard de la société vis-à-vis des victimes de violences conjugales. Mais le film interroge inéluctablement le regard actuel de la justice… En faisant de son personnage principal une activiste et non une victime, le cinéaste permet aux spectateurs de voir à la fois que les progrès sociétaux viennent de combats menés, parfois contre la dureté d’un système judiciaire qui appliquait la loi de manière rigide, parfois contre des lois obsolètes, parfois contre des immunités coupables.

Une société violente

Christian Carion ne réalise pas un film sur l’insécurité au sens premier. Pourtant, sa Belle course n’est pas un film pour enfant. Derrière les personnages se cachent des violences invisibles et indicibles. Comme Paris est éternel, d’autres sujets graves le sont comme celui des violences conjugales. La violence est aussi celle que le réalisateur  évoque dans les relations sociales. Celle sur la route, dans les rues de Paris. Celle de voir des SDF sans que cela n’émeuve plus que cela. Celle liée aux conditions de vie difficiles malgré le fait de travailler et provoquant endettement. Celle entre les membres de sa famille. Une société connectée mais qui communique mal. C’est celle enfin qui s’impose aux personnes âgées qui sont amenées à se couper de ce qui a fait leur vie. Tel Soleil vert, les EHPAD constituent une sorte de dernière violence pour ces personnes en fin de vie. Une violence de ne plus compter pour personne et de devenir un numéro de chambre.

 Avec Une belle course, Christian Carion a donc filmé un conte moderne, avec les règles du conte : une histoire aux valeurs universelles, mêlant rires et peurs, tout en racontant son époque, le tout autour de personnages forts et suscitant une empathie profonde chez les spectateurs. À l’heure où le cinéma français propose des comédies pré-formatées, Christian Carion réussit lui à susciter des émotions puissantes sans misérabilisme, en abordant des sujets de société dont l’actualité témoigne hélas ces derniers jours, le tout en étant divertissant. Ce n’est pas si fréquent.

 

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