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Leni Riefenstahl : Sport et cinéma comme outils de propagande politique

Sportive, cinéaste, c’est donc dans les deux grandes cultures de masse nées au XIXe s. que Leni Riefenstahl évolue. Le sport moderne apparaît véritablement avec la boxe, le football et autres sports codifiés. L’importance de ce phénomène sociétal se concrétise aux yeux du monde en 1896 avec les premiers Jeux olympiques à Athènes. Quant au cinéma, s’il naît officiellement en 1895 et il va rapidement envahir le monde au point de devenir l’art le plus populaire de la planète. Sport, cinéma, ce sont les deux domaines qui vont intéresser la jeune Leni Riefenstahl.

Née à Berlin en 1902, Helena Amalia Bertha Riefenstahl est une adepte des activités physiques. Nageuse et gymnaste, elle devient en 1918 danseuse. N’appréciant pas les spectacles collectifs, elle choisit une carrière en solo qui va lui apporter un grand succès jusqu’à ce qu’elle se blesse au genou en 1924. C’est en 1926 qu’elle découvre le cinéma et qu’elle devient pour la première fois actrice dans La montagne sacrée qu’elle va co-réaliser.

Or le nom de Leni Riefenstahl est incontestablement lié au régime nazi pour lequel elle a réalisé plusieurs films dont deux restent à la fois comme des modèles de réalisation mais que beaucoup considèrent comme des modèles de propagande. Mais était-elle une cinéaste engagée ou juste une cinéaste dont Hitler s’est servi ?

 

  1. De La lumière bleue à la réalisatrice du parti nazi 

 

  1. La lumière bleue comme carte de visite

En 1932, Leni Riefenstahl réalise donc son film La lumière bleue. Le romancier et co-scénariste de La lumière bleue est communiste et juif Béla Balázs. Il est au générique en 1932, même si cela ne durera pas !

Ce film reprend une typologie dite des films de montagne. Hors, d’après Siegfried Kracauer dans De Caligari à Hitler, une histoire psychologique du cinéma allemand (1947), cette référence à la montagne est à relier aux films nationaux mettant en exergue le sommet, le leader et la maîtrise de la nature. Il y a un vrai regard porté sur une origine quasi divine de celui qui dominerait ces espaces.

Pourtant, Leni Riefenstahl affirme ne pas avoir entendu parler des nazis avant février 1932. Certes elle est complètement prise par les tournages mais tout de même, le parti d’Hitler est au cœur de l’échiquier politique depuis 1929 en participant et gagnant des voix à chaque élection pour le parlement. Et même du point de vue cinématographique, le parti s’est positionné contre le M le maudit de Fritz Lang, 

pensant que le réalisateur s’en prenait aux SA nazis. Il paraît donc peu vraisemblable que la cinéaste ait vraiment découvert Hitler en 1932 seulement.

Le fait est cependant qu’Hitler a vu ce film et l’a beaucoup aimé au point d’inviter la réalisatrice à le rencontrer. En février 1932, elle assiste donc à un meeting d’Hitler. Celui-ci la subjugue jusqu’à la mettre, selon elle, en situation de choc des heures après, sonnée par ce qu’elle a vu et entendu. Ce qui l’amène à écrire à Hitler. Celui-ci l’invite alors dans une station de la Baltique. Elle évoque un véritable coup de foudre pour l’homme mais un coup de foudre platonique, quand bien même Leni Riefenstahl prétend qu’il l’aurait « draguée ».

Si ce qui s’est passé à cet instant nous est inconnu, mais la fascination qu’exerce Riefenstahl sur Hitler est telle qu’il lui aurait promis de financer ses films quand il serait au pouvoir. Les faits accréditent la thèse !

Elle va cependant tourner une grosse co-production germano américaine (la UFA et Universal) SOS Iceberg alors que Hitler poursuit sa progression politique. Riefenstahl est donc au Groenland quand il devient chancelier le 30 janvier 1933. Et c’est durant ses vacances qu’elle reçoit un coup de téléphone pour lui dire de revenir à Berlin pour travailler pour le désormais maître de Berlin.

Hitler est un artiste refoulé. Il a cette sensibilité qu’on retrouve quoi qu’on en dise dans la politique. Il joue sur l’émotion plus que sur la raison. Aussi est-il également sensible aux artistes quels qu’ils soient. Si bien que Leni Riefenstahl devient pour lui une sorte de prolongement de ce qu’il aurait peut-être aimé être ou faire. Une artiste. Avec qui il aura des relations privilégiées. Mais pas amoureuses.

Pourquoi Leni Riefenstahl intéresse tant Hitler ?

  1. Le cinéma compris comme outil de propagande

Le 28 mars 1933, Goebbels, ministre de la propagande d’Hitler, affirme que

« La révolution nationale ne se limitera pas à la seule politique. Elle touchera également les domaines de l’économie, de la culture en général, de la politique intérieure et extérieure et aussi du cinéma »

Il faut dire qu’Hitler et avec lui les dirigeants du parti avaient dénoncé la dégénérescence intellectuelle et artistique de l’Allemagne. Peu d’œuvres avaient trouvé grâce à leurs yeux et ils rêvaient de pouvoir reprendre le contrôle sur la production artistique une fois arrivés au pouvoir. Goebbels, docteur en littérature, connaît également bien le cinéma. Il a apprécié notamment les films de Fritz Lang, notamment les Niebelungen  et dans une certaine mesure Metropolis. Même s’il n’avait pas aimé M le maudit (1931) et encore moins Le testament du Docteur Mabuse (1933), il n’en avait pas moins demandé à Lang de devenir un des chefs du cinéma allemand pour servir à la reconstruction artistique de l’Allemagne. Car pour Goebbels, le cinéma est, au-delà d’une véritable passion, une arme pour encadrer et infléchir l’opinion allemande.

D’ailleurs, la même année, le scénariste allemand Hans Traub affirmait que

« Le cinéma est un moyen de communication extraordinaire lorsqu’on l’utilise dans le domaine de la propagande. La nécessité de parvenir à persuader requiert ce type de langage qui fait passer quelque chose d’important à travers des mots simples et une action vivante. L’image n’occupe que la deuxième place dans la propagande. La première revient à la parole vivante : le Führer et ses discours […] Pourtant, dans ce royaume du langage qui atteint le spectateur, par des moyens techniques, la méthode la plus efficace est le cinéma. Le cinéma requiert de la part du spectateur une attention constante, car il est plein de surprises, de changements soudains dans l’action, le temps et l’espace. N’oublions pas que des films sont projetés une fois, deux fois, trois fois par jour, quelquefois quatre fois, et cela dans 5000 salles. Le cinéma est donc le véhicule idéal pour la propagande car il possède toutes les qualités requises. 

  1. il fait appel au monde subjectif des « émotions » ;
  2. le « contenu » des films peut être choisi de façon très précise ;
  3. c’est un instrument polémique ;
  4. on peut y répéter les mêmes choses, obtenir certains effets par le recours à l’uniformité pour reprendre le mot de notre Führer. »

Riefenstahl incarne donc pour Hitler celle qui pourrait le mieux transposer l’idéologie à l’écran. Elle en a les codes esthétiques et sûrement idéologiques et manifestement, ils se sont particulièrement bien entendus. 

  1. 1933 : Leni Riefenstahl filme le parti nazi au pouvoir

Aussi, Leni Riefenstahl se voit confier le tournage du congrès de Nuremberg du parti nazi en 1933. Financé par le NSDAP et intitulé La victoire de la foi, cette « captation » est une première. Sur ce film réalisé en 1933, elle avait débarqué avec son équipe. Leni Riefenstahl affirme plus tard que Goebbels, pas prévenu, aurait tout fait pour l’empêcher de tourner correctement. 

Ni reportage d’information, ni véritable documentaire, le film malgré ses défauts convainc Hitler de l’intérêt d’une propagande cinématographique. Il conserve donc Leni Riefenstahl pour qu’elle continue de couvrir les grands événements politiques du parti.

       II . Leni Riefenstahl, une témoin de son temps ?

  1. Le triptyque de Nuremberg

Avec comme film phare Le triomphe de la volonté plus Olympia - Les dieux du stade (en deux films) : soit 5 films en tout, plutôt réussis.

Hitler décide de donner tous les pouvoirs à la réalisatrice pour le suivant. Quand Leni Riefenstahl réalise Le triomphe de la volontésur le Congrès du Parti en 1934, elle échappe alors totalement au contrôle du ministre de la propagande allemande Goebbels.

Ayant accès à la mise en scène du congrès, elle élabore sa mise en scène pour le tournage, faisant de son documentaire une « mise en scène de la mise en scène » du Congrès. De fait, elle fait de la ville de Nuremberg un plateau de cinéma géant dont les comédiens seront les habitants autant que les nazis, militants comme dignitaires.

Pour saisir l’ensemble, elle arrive avec 170 personnes dont 45 cameramen. Un dans la voiture de Hitler, un autre dans un ascenseur du stade de Nuremberg pour saisir en plongée l’arrivée d’Hitler au milieu de la foule. Une caméra est embarquée dans l’avion qui amène le Führer dans la ville aux quartiers médiévaux savamment filmés.

Le film est un triomphe. Il est projeté dans toutes les salles allemandes. En même temps, il était difficile pour un propriétaire de refuser de le programmer. Mais ce furent 5 millions de spectateurs qui ont vu Le triomphe de la volonté en Allemagne.

Il reçoit le prix du meilleur film germanique en 1935. Mais cela allait de soi puisque le film est une commande du Führer lui-même. Mais le succès est international et la France décerne également un prix à la réalisatrice pour son triptyque.

En effet, sous pression de des généraux allemands et à la demande de Hitler lui-même, Riefenstahl réalise en 1935 Jour de liberté à la gloire de l’armée allemande.

   

    2. Le chef d’œuvre des JO de Berlin

Réalisatrice louée en Allemagne et dans le monde, elle est celle qui va laisser une trace des Jeux Olympiques se déroulant dans la capitale du Reich.

Techniquement, elle prépare la captation des différentes épreuves en amont, positionnant des caméras dans des endroits spectaculaires, creusant des fosses dans le stade pour y mettre des cameramen.

Ancienne sportive, elle sait les efforts consentis par les athlètes  et décide de les transcrire à l’image. Ainsi, elle découpe parfois le corps des sportifs pour s’appesantir par exemple sur les jambes des marathoniens filmées en plongées. Elle a recours au ralenti pour accentuer encore davantage le sentiment de longueur de l’effort. C’est enfin la musique qui accompagne la volonté de l’athlète d’accomplir cette course interminable.

Pour le plongeon, elle place 3 caméras à différents endroits pour en enlever la monotonie. Mais au montage, elle inverse parfois des plans faisant que le plongeur montait, sans que cela ne se remarque mais cela accentuait le mouvement. Il y a donc une approche artistique qui se rajoute à la dynamique propre des athlètes.

En technicienne, elle contrôle tout : position des caméras, objectifs des caméras, vitesse de tournage, filtres ou obturateurs.

Ce que découvrent les spectateurs dans les salles est unique. D’abord une ouverture qui vient rappeler les origines antiques des Jeux Olympiques. Puis ensuite la parade des athlètes dans le stade olympique de Berlin. Ce sont après les exploits sportifs et collectifs qui sont montrés, notamment ceux de l’athlète noir américain Jesse Owens et ses 4 médailles d’or. Ce sont enfin les moments de célébration de la paix entre les peuples, bien sûr autour et par la présence du Führer. Mais l’ensemble soulève un enthousiasme réel et accompagne comme jamais auparavant une ferveur autour du sport comme élément à la fois fédérateur et comme transposition du nationalisme guerrier vers un chauvinisme plus pacifique. L’idéal olympique en quelque sorte.

En tout, ce sont plus de 400 000 mètres de pellicules qui sont utilisés, avec des plans parfois reconstitués avec les vrais athlètes, en dehors de la compétition elle-même, notamment pendant les entraînements.

Elle n’a rien inventé mais elle va utiliser toutes les techniques possibles : caissons étanches, catapultes, caméras portatives pour les athlètes mises autour du cou pour avoir des plans sur les jambes.

Accompagnées d’un simple commentaire sportif, les deux parties « La fête des peuples » et « La fête de la beauté » seront titré en France Les Dieux du stade et Jeunesse olympique (mais désormais connu sous le seul titre de Dieux du stade) pour un peu plus de 9 500 m de pellicule ! Les copies furent tirées en 16 langues différentes avec pour objectif de montrer des montages mettant en avant les victoires des athlètes des pays destinataires des copies. Mais les Britanniques ne reçurent jamais la leur.

 

  III. Leni Riefenstahl, une propagandiste du nazisme ? 

  1. Peut-on filmer un congrès nazi sans adhérer aux idées ?

« Le cinéma est l’un des moyens les plus modernes pour agir sur les masses. »

Joseph GOEBBELS, 9 février 1934

Ce qui saisit le spectateur est évidemment d’abord certaines prouesses techniques du film. Mais plus que cela, c’est l’adéquation entre procédés techniques et le sens donné à l’image qui fait du Triomphe de la volonté un bon film. Cette longue séquence durant laquelle Hitler arrive du ciel pour atterrir à Nuremberg fait de lui un dieu vivant, Nuremberg devenant la nouvelle Jérusalem, montrée comme ville impériale et médiévale.

L’immense foule qui l’acclame quand il fend le trajet témoigne d’une Allemagne unifiée. En ce sens, Riefenstahl répond au désir nazi de présenter une Allemagne soudée. Les individus ne sont plus identifiables. Les Allemands ne sont plus qu’un corps.

En appliquant les techniques de cinéma de fiction au documentaire, en s’affranchissant des plans fixes mais en introduisant des mouvements de caméra, des travelling, elle rompt avec les images habituelles relatant des « actualités filmées ». Elle crée donc un scénario, une montée en tension ce qui est totalement nouveau. Ce faisant, elle impose un rythme, une dramaturgie et une architecture au film qui transportent les spectateurs.

Les effets attendus sont immédiats. Les jeunesses hitlériennes vont accueillir de nombreux adolescents chamboulés par le souffle nazi que Leni Riefenstahl a transmis dans son film. Car si les troupes qui accueillent Hitler semblent très « carrées », bien organisées, la réalité est qu’il s’agit d’une véritable mise en scène visant à produire l’effet escompté : avec le parti nazi, les Allemands sont obéissants, rigoureux, unis. Les historiens ont pourtant montré que loin de ces images produites et exposées sur les écrans de toute l’Allemagne, le régime nazi était bien plus désorganisé que ce que l’image prétendait montrer. Et que la part d’improvisation dans ces grands rassemblements caractérisait justement ce parti.

Le gros problème du film est donc bien là. Plus qu’un documentaire, ce film convainc de suivre une idéologie car Leni Riefenstahl y a mis tout son talent. Elle épouse l’esthétique nazie mais n’était sûrement pas plus antisémite que d’autres. En Allemagne comme en France, ce n’est qu’une opinion et pas un délit. Elle a beaucoup d’amis juifs car le milieu du spectacle en comptait pas mal. Béla Balázs, le romancier de La lumière bleue est communiste et juif. Mais s’il est au générique en 1932, il ne l’est plus à la ressortie du film en 1938, le privant de ses revenus. Il demande alors son dû et Riefenstahl, vexée, demande à juger l’affaire soit jugée. Mais Béla Balázs a migré depuis en Russie.

   

   2. Filmer les Jeux Olympiques : un acte militant ?

Leni Riefenstahl est très sportive (danse, athlétisme, ski). Elle voit donc dans les Jeux de Berlin l’opportunité de mêler ses deux passions : le sport et le cinéma. Elle demande alors à la UFA de réaliser le film sur les jeux.

Contrairement à ce qu’elle affirme, Goebbels la soutient et va même jusqu’à lui financer intégralement le tournage soit 1,8 millions de Marks (ce qui est colossal pour l’époque). La somme est alors versée en plusieurs fois par le ministère de la Propagande à « Olympia films », la société créée pour l’occasion pour Riefenstahl. Et pour cause ! Cette société devait avoir une durée éphémère et devait masquer au CIO le fait que le Reich financerait intégralement le documentaire. Ceci aurait pu valoir le retrait des Jeux à l’Allemagne. Riefenstahl devint donc le prête nom de cette société de production bidon.

Il faut dire que pour Hitler, c’est l’occasion de montrer une belle image du Reich : une Allemagne pacifique, tolérante et puissante.

Mais d’après Riefenstahl, il ne fut pas ravi d’apprendre qu’elle allait tourner ce film. Et encore moins de venir au stade car cela ne l’intéressait pas. Il trouvait le stade trop petit, à l’architecture pas assez valorisante.

Il n’en demeure pas moins que Les dieux du stade constitue une forme très subtile de propagande pour le régime. La reconstitution d’un patrimoine architectural grec, la vue des ruines de l’Acropole, le fondu enchaîné du discobole sur un vrai athlète sont autant d’éléments qui mettent en avant la grandeur de la culture européenne, antique hier, celle du Reich en 1936. L’idée de Carl Diem, le président du Comité olympique allemand, de créer une course de la flamme olympique depuis Olympie  accomplissait le lien entre les deux.

Cette mise en scène de son obsession, la beauté du corps masculin (moins les femmes) la conduit à filmer les athlètes quasiment nus pour son prologue, transcendant la figure humaine, représentant un canon de la beauté masculine, avec les muscles saillants et harmonieux. Toute la logique raciale y est présente pendant ces vingt minutes de prologue, et derrière l’idéologie nazie d’une race parfaite, celle allemande.

Les dieux du stade sortent le 20 avril 1938 pour l’anniversaire d’Hitler, peu de temps après l’Anschluss (l’invasion de l’Autriche par les troupes allemandes).

En France, le film y est certes acclamé mais la version française, écrite par Claude Heymann, c’est-à-dire les rares commentaires sportifs qui accompagnaient les images, ont été étroitement surveillés par les services allemands.

Sauf que le film sort près de deux ans après les JO et le véritable visage autoritaire du régime ne fait désormais plus aucun doute aux yeux du monde. Le succès relatif du film aux USA conduit la réalisatrice à s’y rendre en octobre 1938. Mais si elle est reconnue pour son talent, la ligue américaine anti-nazie fait pression pour qu’Hollywood lui ferme les portes. Il lui est reproché sa proximité avec le nazisme dont les lois antisémites. D’autant que le Reich vient d’ordonner le massacre des juifs lors de la Nuit de Cristal du 9 au 10 novembre. Riefenstahl parle de rumeurs infondées.

Pourtant, à la différence du Triomphe de la volonté, le contenu des Dieux du stade ne lui sera jamais reproché, si ce n’est au lendemain de la guerre par un spécialiste du cinéma allemand qui y dénonça la propagande cachée subtilement par le montage mais que les thématiques ou le vocabulaire ne masquaient pas.

    3. Leni Riefenstahl et le sentiment de culpabilité ?

La première question à se poser est sur l’expression d’idées en phase avec celle du nazisme. Par exemple, on pourrait croire que Leni Riefenstahl est antisémite par le courrier pour faire condamner Balázs mais c’est, selon certains historiens, un antisémitisme de circonstance. Elle veut arriver par tous les moyens à réussir, quitte à dénoncer ses anciens amis.

Pourtant, son travail a contribué à façonner l’image du nazisme avant 1939. Les images d’archives dont nous disposons viennent quasiment exclusivement de ses films. Si bien que ses réalisations relèvent de la propagande pure. Et on peut se demander alors si elle n’était pas nazie. Sa grande défense fut d’affirmer qu’elle n’avait jamais été membre du parti. Mais sans l’être vraiment, et parce qu’elle n’a en effet jamais tué, peut-on faire d’elle une complice ?

En dehors de l’Allemagne, son surnom était la « Fürerhin ». Cela en dite tout de même long sur la perception de la réalisatrice en dehors du Reich. Car si elle n’a jamais tué, il fallait tout de même une certaine dose d’approbation des idées nazies pour magnifier à ce point le régime, sans jamais apporter un regard nuancé.

Dans les interviews qu’elle a pu donner, sa grande défense était de prétendre n’avoir fait que des films. Et de citer en exemple d’autres grands cinéastes comme Eisenstein à qui on n’a jamais reproché de faire des films staliniens.

La réalité est cependant différente. D’abord Eisenstein n’a pas toujours été en phase avec Staline ! Ensuite, Riefenstahl n’avait certes pas une idéologie chevillée au corps et aurait pu tourner pour Staline s’il le lui avait demandé. Les historiens s’accordent en réalité sur le fait que son ultra-narcissisme et son égoïsme l’ont amené à ne pas se préoccuper d’autre chose que d’elle et de ses obsessions.  Artistiquement, le caméraman Willy Zielke qui tourna le prologue des Dieux du Stade affirme en 1975 l’avoir fait tout seul et qu’il constitue la seule partie artistique du film. Il a tourné en Grèce et en Prusse des scènes de nus pour la première fois de l’histoire du cinéma. Il affirme que Leni Riefenstahl s’est approprié ces séquences qu’elle n’a ni écrites ni pensées, sans jamais le mentionner. Mais sa misogynie légendaire – il a toujours eu du mal à envisager la place d’une femme ailleurs que dans un lit - et peut-être sa prétention comme sa jalousie l’ont peut-être conduit à être si sévère avec Riefenstahl. Car contrairement à ce qu’il dit, la partie artistique du film ne se limite pas à ce prologue loin s’en faut.

Elle s’est également toujours défendu d’être raciste. N’avait-t-elle pas montré les différentes victoires de Jesse Owens dans son film quand on prétendait que l’Allemagne nazie était raciste ? Et ce contre l’avis de Goebbels ? En vérité, il lui aurait été aussi difficile de masquer cela puisque ces quatre médailles avaient résonné dans tous les médias en 1936. Surtout, elle a cherché à se donner une crédibilité en accusant Goebbels d’avoir voulu interdire les images avec « le noir ». Or aucun document ne le confirme.

Ainsi, elle part en 1939 pour la Pologne et filmer le début de la guerre. Elle filmera le massacre de juifs polonais à Konskie en 1940. Elle prétendit en avoir été écoeurée au point de partir. Mais des témoins affirment qu’elle est restée jusqu’à l’arrivée des troupes allemandes à Varsovie. Les films qu’elle aurait tournés avec ses techniciens auraient disparu après l’arrivée des troupes américaines en 1944.

Pendant la guerre, elle tourne un film en Grèce Tiefland. Des Tziganes de camps de concentration lui servent de figurants qu’elle filme pour les voir notamment danser. Après le tournage, elle les ramène au camp. Ils seront déportés à Auschwitz.

CONCLUSION

Au lendemain de la guerre, elle est renvoyée en Allemagne, traitée comme une nazie. Mais les officiers français ont du mal à apporter les preuves du financement de ses films comme Tiefland ! Ni même à montrer l’effet de propagande de ses films pour Hitler.

Face aux Américains, elle prétend ne pas être au courant de l’existence des camps de la mort et encore moins d’Auschwitz. Les Américains la croient.

Or comment imaginer que quelqu’un côtoyant de si près les plus hautes sphères du régime pouvait ne pas connaître l’existence de ces camps. Seul son égocentrisme peut le laisser penser. Et le fait qu’elle ne parlait avec Hitler que des affaires artistiques.

Au lendemain de la guerre, elle essaye de refaire des films, sous son nom d’épouse : Hélène Jacob. Mais malgré le soutien d’artistes comme Cocteau, elle ne reviendra jamais dans le cinéma. Elle se consacre alors à la photo, travaille sur la traite des noirs en Afrique, tombe en pâmoison devant le peuple Massaï au Kenya ou devant les catcheurs Noubas du Soudan. C’est la continuité de son travail sur les JO et sa fascination pour les corps virils.

Progressivement, elle est réhabilitée d’autant plus facilement que ses films sont toujours montrés dans les cinémathèques. Elle a continué à nier sa proximité avec le nazisme jusqu’à ses 101 ans, alors qu’elle travaillait désormais sur des documentaires sous-marins. Malgré les ambiguïtés de son travail, et malgré ses mensonges, elle prétendait ne pas être coupable d’avoir été vivante pendant cette période.

Mais étonnamment, son approche artistique dans la représentation des corps et des organisations humaines connaît une postérité dans le monde. Au Japon dans les mangas, chez Georges Lucas dans Star Wars (Un nouvel espoir), chez Disney dans Le roi Lion. Quant aux compétitions sportives, combien de plans sur des joueurs, des supporters ne témoignent en rien des résultats ou de la performance mais de l’émotion que le réalisateur veut transmettre aux spectateurs. Combien de ralentis permettent de voir certes l’action précisément mais surtout de voir ces corps musculeux en action ou la détresse d’une articulation meurtrie ? Sans le savoir certainement, les réalisateurs couvrant les compétitions sportives reproduisent ce que Leni Riefenstahl a produit en 1936. Mieux, en France, les calendriers des rugbymen montrés dans des tenues mettant en avant la perfection des corps, savamment huilés et saillants ne s’appellent-ils pas … « Les dieux du stade » ?

Leni Riefenstahl : Sport et cinéma comme outils de propagande politique
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