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Vol au-dessus d'un nid de coucou, Miss Ratched et le COVID

L’étrange impression que le spectateur ressent au fur et à mesure que Vol au-dessus d’un nid de coucou se déroule sous ses yeux est celle de voir dans un hôpital psychiatrique des personnages qui ne sont peut-être pas aussi fous que ce qu’il s’imaginait. Et peut-être bien trop « normaux » pour être enfermés dans une structure leur ôtant bon nombre de libertés.  Dans le documentaire de 2011 Il était une fois… Vol au-dessus d’un nid de coucou réalisé par Antoine de Gaudemar, Milos Forman intervient spectaculairement. Si le scénario lui plaisait tant, s’il l’a tellement bien compris, c’est que ce que l’histoire racontée était celle que les citoyens de Tchécoslovaquie vivaient sous le régime communiste. Le regard porté sur le monde psychiatrique dans son film sorti en 1975 puis multi-oscarisé devait alors se lire aussi comme une parabole d’un régime totalitaire. Pourtant, ce 31 juillet 2022, la diffusion sur ARTE de ce chef-d’œuvre ne manqua pas de faire le lien avec une autre situation que celle de la Tchécoslovaquie du cinéaste. Une situation contemporaine, loin du régime communiste.

 

Au point de départ, Randall Patrick McMurphy (Jack Nicholson), est interné car son cas est suspect. Est-il un violeur ayant toute sa raison ou bien ses crimes sont-ils dus à une maladie mentale le rendant irresponsable au point de l’exonérer de la prison mais l’envoyant en hôpital psychiatrique. Concrètement, le spectateur est mis devant une situation objective, un criminel, et devant un choix qui doit être validé par des experts dont le directeur de la prison. L’objectif du film semblerait donc clair. McMurphy est-il un simulateur ou un vrai malade mental. De fait, dès son arrivée dans l’hôpital psychiatrique, il apparaît comme tout à fait normal. Certes il est extravagant, mais ses demandes sont cohérentes. Face à lui, d’autres internés aux comportements loufoques. De l’Indien massif mais sourd, muet et apathique ; un vieillard dansant sans cesse ; un malade fatigué en permanence ; un jeune bègue; des psychopathes ou asociaux… Face à lui encore, des individus encadrant les internés. Ils sont en uniformes blancs, infirmières ou hommes de service, administrant des soins ou veillant à la sécurité des pensionnaires. Tout cela semble bien ordonné. Le ton est calme, les patients sont écoutés et une certaine collégialité dans les décisions est pratiquée.

Ce tableau, presque idyllique, ressemble pourtant à s’y méprendre à ce que la France vit depuis mars 2020.  Reprenons le film et envisageons l’hôpital psychiatrique comme le fit Forman en tant que métaphore d’un pays. Mais cette fois, il ne s'agit plus de la Tchécoslovaquie mais du hasard nôtre. Disséquons à présent les populations et les situations. Nous avons donc ceux qui dirigent. Ils sont à l’écoute et leur fonction est de savoir quoi administrer, quoi décider pour la santé des patients. Il est à noter que les traitements donnés ne sont jamais expliqués. Les internés les prennent. Un point c’est tout. On pourrait se dire qu’ils sont là avant que l’histoire du film commence. Soit. Mais McMurphy ? Il est à l’hôpital pour être évalué mais on lui donne des médicaments. Contre quoi ? On ne le sait pas. Mais il lui est dit que c’est très important dans le protocole bien que McMurphy ne semble pas aussi atteint que les autres. Les autres patients ont-ils un traitement différent ? Nous n’en saurons rien.

La chef infirmière, Miss Ratched (Louise Fletcher) parle d’un ton très doux, très posé. Ses arguments sont très rationnels… à première vue. Les internés parlent en séances collectives de leurs maux, de leurs difficultés. L'infirmière en chef apparaît très à l’écoute des besoins de ces « malades ». Pourtant, aucune solution n’émane de ces réunions. Au contraire, celles-ci semblent participer à diviser les malades en plusieurs camps adverses. Et chaque membre de ces camps subit la même injonction à se soigner. La réunion se finit alors. Ainsi, les problèmes de couple de l’un, de bégaiement de l’autre ou tout autre problème ne sont jamais traités autrement que par la possibilité donnée aux autres de s’immiscer dans la vie des autres, de le renvoyer à ses tourments. L'autorité médicale s'impose aux patients par la division de ceux sur qui s’exerce cette autorité mais sans aucune efficacité curative. Car résoudre les problèmes de ces patients n’est pas la finalité de Ratched. Quand le bégaiement de Billy disparaît, l’infirmière, loin de se réjouir de cela, s’ingénie à ignorer cette « guérison » pour l’humilier davantage. Quant à la démocratie mise en exergue au début du film, les votes des internés n’ont de valeur que s’ils vont dans le sens de Ratched. Ainsi, les questions posées sont-elles liées à des choix faits par elle. Son écoute des doléances est factice et ses propositions sont toujours conditionnées à un temps futur : « Si… alors… ». Ainsi, quand McMurphy sollicite un changement de l’emploi du temps pour pouvoir regarder un match de baseball à la télévision, Ratched change les règles du vote afin que, même quand le nombre requis de votant est atteint, le match ne puisse être vu. Comme si « elle avait très envie de les emmerder. »

La place de ces « dirigeants » est d’ailleurs incarnée par d’autres que la seule Ratched. Le personnel de service vêtu de blanc est davantage un personnel d’encadrants. Ils sont des hommes, pas particulièrement éduqués. Mais leur costume leur donne l’autorité et manifestement le droit de pouvoir faire mal. Ils symbolisent métaphoriquement la police devant ramener l’ordre quand bien même l’ordre émis répondrait à des règles injustes. Il y a également les médecins. Ceux-ci sont les supérieurs de Miss Ratched car ce sont eux qui évaluent McMurphy. Organisés en « Conseil scientifique », ils discutent à partir d’aucune donnée clairement établie du cas de la maladie mentale de McMurphy. Rien de quantifié. Rien sur son sommeil, rien à partir d'analyses de sang ou d’urine. Prend-il seulement ses médicaments ? Nous avons donc affaire à un « conseil scientifique » qui n’a absolument rien de scientifique dans sa méthodologie. Sur ces différents aspects, comment ne pas reconnaître alors dans cet hôpital la manière dont la population française a pu être traitée depuis mars 2020. Des autorités qui isolent, qui divisent les citoyens, qui savent mieux quelles décisions sont bonnes ou pas pour eux, cette volonté d’administrer un traitement sans qu’aucune évaluation n’ait été réellement faite, accusant de criminels ceux qui pourraient douter, avec la caution d’un conseil scientifique dont il s’est récemment avéré qu’il était ni un conseil et encore moins scientifique, et celle d’une pseudo démocratie où les questions légitimes pour faire autrement sont balayées d’un revers de la main et jugées comme un acte de rébellion.

ATTENTION – Révélations

Mais allons encore un peu plus loin dans la comparaison et revenons aux « habitants » de cette institution psychiatrique. Plus le film avance, et plus le spectateur se projette dans la situation qu’il voit à l’écran. Et il s’avère qu’aussi atteints qu’ils soient, les internés manifestent des symptômes finalement pas si graves que cela. Ou plutôt, ils nous apparaissent comme assez bénins au point de trouver tous ces personnages « normaux » malgré leurs pathologies. L’un a des problèmes de cœur, l’autre de confiance en soi, un autre est intraverti etc. Mais que McMurphy leur demande de faire telle ou telle chose, ils s’y adaptent parfaitement. Cette apparente normalité est de plus en plus difficile à accepter pour le spectateur au cours du film car, s’ils sont normaux, que font-ils alors dans cet hôpital ? D’ailleurs, ils jouent au basket avec le personnel d’encadrement. À la fin, ils ressemblent davantage à des prisonniers de droit commun qu’à des malades. Et quand McMurphy les sort illégalement de l’hôpital, ils endossent volontiers les titres de « Professeur » d’université et préfèrent abandonner la partie de pêche pour reluquer McMurphy avec sa chérie, preuve qu’après tout, ils ne sont pas si anormaux que ça, y compris dans ce domaine ! Pourquoi sont-ils alors dans cette unité psychiatrique ? McMurphy découvre le pot-aux-roses quand Miss Ratched lui révèle que tous ses co-internés ne le sont que par leur volonté. Ils prennent leurs médicaments, s’infligent des restrictions de liberté, à commencer par ne pas pouvoir sortir voire à ne pas pouvoir faire la sieste quand bon leur semble, de manière volontaire. Ils pourraient sortir, mais ils décident de rester. Comme si cette autorité dite scientifique les avait convaincus du danger à être libre et du libre arbitre. Quand finalement Billy s’émancipe enfin de la tutelle de sa mère, donc de Ratched, celle-ci le ramène à sa condition de soumis. Idem pour les autres internés. Là encore, comment ne pas faire le parallèle avec les mesures que les Français ont subies, toujours au nom de la science, avec les restrictions de liberté pour le bien de la population, du confinement au couvre-feu. Les autorisations de sorties validées par soi-même et les choses qu’ils pouvaient acheter ou pas parce qu’une autorité établissait que certains produits étaient essentiels et d’autres non. Une véritable infantilisation pour certains. Infantilisation que les internés subissent face à Ratched quand celle-ci leur interdit de jouer à certains endroits, ou rédime leur consommation de cigarettes devenues monnaie pour jouer au poker. En 2020, ce renoncement aux libertés essentielles s’est fait avec l’assentiment de la population. Et malheur à qui voulait s’affranchir de ces mesures liberticides. La sortie en bateau organisée par McMurphy sanctionnée par les autorités ne nous renvoie-t-elle pas aux sorties interdites que certains osaient faire malgré le confinement ? La mobilisation policière pour arrêter ces dangereux gangsters partis pêcher ne ressemble-t-elle pas à l’envoi des drones en forêt ou sur les plages pour vérifier qu’un individu ne courait pas seul en dehors des heures autorisées ou à une distance trop éloignée du domicile ?

Vol au-dessus d’un nid de coucou est tout aussi éclairant sur les réactions contre cet ordre établi. McMurphy refuse le traitement qu’on lui administre. Il simule une partie de baseball en la commentant, provoquant l’enthousiasme des autres internés et la colère de Miss Ratched devant cette prise de liberté. Quand McMurphy se met en colère, il est alors traité par électro-choc ! On ne rigole pas avec ceux qui osent contester l’autorité. Mais cela lui permet de découvrir que la résistance à un ordre ne se fait pas d’une seule façon. Quand l’Indien sourd et muet répond à une de ses questions, McMurphy comprend à quel point il a lui aussi déjoué cette autorité. Il simulait sa situation de soumis! Cette supercherie révèle de fait  l’incompétence de ces autorités dites scientifiques, incapables de vérifier l’altération des sens de ce colosse. L’Indien est on ne peut plus normal ! Et si tel est la cas, alors c’est qu’il faut que cet hôpital  soit investi par la normalité, par ceux qui vivent librement à l’extérieur. McMurphy contourne ainsi l’ordre de Miss Ratched une dernière fois en invitant deux femmes à l’intérieur de l’enceinte psychiatrique, moyennant la corruption du gardien. Une intrusion en guise d’adieu aussi à ce monde en réalité carcéral.

L’addition de tous ces éléments de résistance témoigne de la difficulté d’empêcher le contournement de règles injustes émanant d’une autorité contestable. La parabole de Forman correspondait au système liberticide d’un régime communiste qui affirmait à ses habitants savoir ce qui était bon pour eux au point de leur interdire de franchir les limites pour voir si l’herbe était plus verte ailleurs et l’air plus libre. Elle s’adapte parfaitement aux dérives des démocraties libérales pensant à la place de ses citoyens. Point besoin d’idéologie communiste. Mais une infantilisation des habitants, comme les internés du film, des débats pseudo-démocratiques avec des réponses sans solutions mais incantatoires, toujours avec la projection dans un futur conditionné au bon comportement. « Si les Français sont prudents, nous lèverons les jauges des salles de spectacle, nous permettrons de boire le café debout, nous permettrons de ne plus porter le masque dehors… » Certains ont accepté cette privation de liberté. D’autres en ont même réclamé le prolongement. Mais au-delà d’une parabole contre tel ou tel régime, Vol au-dessus d’un nid de coucou est un vaccin que chaque citoyen devrait prendre pour se méfier des décisions de son gouvernement, évidemment toujours au nom du bien-être des citoyens mais pas toujours avec leur assentiment éclairé. Aucune autorité ne peut enfermer des êtres libres. Pas même ceux trop faibles pour s’évader  Avec un avantage énorme, c’est que c’est le seul vaccin dont l’effet secondaire est de savoir où se trouve la liberté. Il suffit pour cela de suivre l’Indien.

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