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Pourquoi sauver les DVD

Comment voir les films ailleurs que dans les salles ? Depuis les premières cassettes vidéo jusqu’aux films en VOD, il est de plus en plus possible de voir des œuvres cinématographiques chez soi. Mais qu’en est-il des DVD aujourd’hui ? C’est une des questions abordée par le Festival Lumière 2020 qui, malgré des circonstances sanitaires, a accueilli un salon grand public et des rencontres entre les éditeurs lors du Marché International du Film Classique montrant que la résistance de l’objet « DVD » face à la dématérialisation grandissante de l’accès à la filmographie grâce aux plateformes numériques de plus en plus nombreuses.

Interrogé par Aurélien Ferenczi dans le Journal du Festival Lumière du 11 octobre 2020,  Vincent Paul-Boncour, directeur de Carlotta, un des plus grands éditeurs de DVD en France, a lancé avec d’autres « l’appel des 85 » en juin pour défendre l’intérêt de la vidéo physique. Le confinement a prouvé l’appétit des Français pour le cinéma, permettant d’ailleurs à l’édition vidéo de bénéficier d’une aide gouvernementale pour la relance des activités cinématographiques, le marché de ce secteur représentant tout de même près d’un demi-milliard d’euros. Il y a donc un vrai sujet économique derrière l’édition « physique » qui même si elle n’est plus aussi importante qu’avant, est loin d’être pour autant moribonde. Mais ne serait-ce pas un combat d’arrière-garde ?

Le rapport de force apparaît en effet en faveur des diverses plateformes tant leurs catalogues apparaissent parfois illimités, que ce soit pour la VOD, Vidéo à la demande pour accéder à des films sortis quelques mois avant en salle ou la S-VOD, Vidéo à la demande par abonnement du type Netflix avec des films par milliers mais datant de 3 ans au moins. Et l’évidence économique saute aux yeux puisque pour moins de 10 euros, une famille peut voir un film sorti quelques mois auparavant. On est loin des 15 à 20 euros minimum pour l’achat d’un Blu-Ray qui ne sera peut-être plus jamais revisionné ensuite, quand la profondeur du catalogue des plateformes S-VOD permet le visionnage quotidien d’un film classique pour moins de 30 centimes ! Si on ajoute à cela le visionnage en tous lieux, en toutes circonstances et sur des écrans de tailles de plus en plus réduites, les plateformes et autres formats numériques s’imposent a priori sans conteste.

Comment alors expliquer les files d’attentes importantes d’acheteurs pour le Salon du DVD du Festival, malgré le froid et à cause des mesures sanitaires? C’est que le film n’est pas simplement du temps devant un écran mais une œuvre d’art à part entière. Et la plupart des éditeurs de DVD ont compris que leur offre ne pouvait plus être seulement celle que propose désormais Netflix et ses concurrents. Les DVD doivent proposer les dernières versions restaurées de films pour restituer aux films leurs qualités esthétiques. Des efforts portent aussi sur l’adjonction de Bonus, de livrets accompagnant les boîtiers ou sur la qualité des jaquettes. Des graphismes plus travaillés ne se contentent plus de reproduire une affiche originale. Les matériaux utilisés sont plus nobles. Cet effort est d’ailleurs plus notable sur les films « classiques » car si les films « frais » permettent facilement d’intégrer des bonus, des documents de tournage et autres sources, d’ailleurs parfois pensés dès la production du film, il est parfois plus difficile de proposer de tels bonus pour des films classiques, quand bien même ces films seraient des films cultes !

Ainsi, Manuel Chiche, qui dirigeait alors la société Wild Side, produisit un coffret en édition limitée du film La nuit du chasseurle 31 octobre 2012 vendu à 80 € offrant en plus de la version restaurée du film en Blu-Ray des bonus en DVD et un livret de Philippe Garnier écrit spécialement pour l’occasion, le tout dans un coffret splendide. De son propre aveu, Manuel Chiche n’a pas cherché à faire de l'argent dans cette édition qui n'était destinée qu'à satisfaire sa propre passion pour ce film. Mais l'engouement fut tel que tous les coffrets furent vendus, permettant d'éditer une version moins luxueuse et donc moins chère. Il est alors évident que le public cible n'est pas celui qui souhaiterait seulement découvrir le film mais bien celui qui le connaissant déjà veut le voir dans les meilleures conditions possibles, avec des suppléments destinés aux fans, tout en se faisant plaisir en l'exposant dans sa "dvdthèque" comme certains exhibent leurs éditions de la Pléiade. Et que dire du cadeau pouvant être fait à celui qui passionné de cinéma sera davantage comblé par un tel objet que par le transfert d'un fichier numérique ou d'un code pour voir ce film ! 

Cet exemple reflète d’ailleurs une caractéristique de bien des cinéphiles. Celle de posséder matériellement les films pour les montrer comme le faisait le chanteur Christophe qui détenait près de 400 longs-métrages en pellicule. Il les projetait à ses amis ou pour lui seul lui valant d’ailleurs quelques déboires judiciaires pour exploitation illégale, l’ensemble de sa collection lui ayant été d’ailleurs saisie ! Aujourd’hui, la possession de copies sur DVD est plus facile, légale et également moins gourmande en surface et en matériel. Mais certains films passent d’un éditeur à un autre et occasionnant chez certains une frénésie pour détenir chaque version, vérifiant les différents bonus adjoints ou la qualité de la restauration de l’image ou du son, voire les différents montages proposés par les réalisateurs, comme pour les multiples versions d’Apocalypse now ou de la saga Star wars. C’est bien ce que ne permettent pas les plateformes de vidéo numériques qui n’offrent qu’une version d’un film, ce qui ne peut pas satisfaire les plus puristes des spectateurs.

Enfin, la possession des œuvres en support physique est essentielle aussi pour des questions de liberté et l’exemple le plus flagrant fut celui donné lors du débat autour du film Autant en emporte le vent. La plateforme HBO Max a donc retiré quelques jours ce film de son catalogue, prétextant la nécessité de mettre avant son visionnage un carton replaçant l’œuvre dans son contexte, dénonçant les stéréotypes racistes s’y trouvant et correspondant à celui de l’époque. Il n’y avait évidemment pas une impérieuse nécessité de supprimer le film, même pour quelques jours, pour insérer ce carton qui relevait manifestement davantage d’un lobbying de mouvements antiracistes promoteurs de la « cancel culture ». Pourtant, cet événement a provoqué une réaction assez symptomatique chez certains cinéphiles ou simples citoyens. En effet, le film devint numéro un des ventes sur Amazon et fut le cinquième film le plus vu en streaming (location ou achat) sur iTunes !

Ce réflexe pavlovien de commander ce qui est interdit en dit en fait bien plus long qu’une simple volonté de s’opposer à une censure de fait. En effet, l’achat du film en format physique et pas en fichier numérique ou en streaming relève d’une liberté absolue de pouvoir regarder un film sans dépendre d’une décision d’une plateforme ou d’un gouvernement. La possession de l’objet évite justement cet arbitraire de HBO Max ou de Netflix ou de toute autre plateforme de supprimer un film sous prétexte d’une bien-pensance nouvelle ayant pour conséquence l’éradication des œuvres jugées moralement répréhensibles. La faute incombe aussi parfois d’ailleurs aux réalisateurs eux-mêmes. Ainsi Steven Spielberg avait modifié des images dans E.T. L’extraterrestre. Si dans la version originale, E.T. était poursuivi par des hommes portant des armes, une version nouvelle ressortit quelques années après où les armes avaient été remplacées par des Talkie-Walkie, moins violents pour les enfants. Pour la dernière restauration du film, Spielberg remit les images originales. Mais cet exemple montre bien la nécessité de copies physiques pour pouvoir témoigner de la réalité des œuvres initiales ensuite modifiées par les auteurs voire par les nouveaux ayant droits ou par les distributeurs. Et quand ceux-ci s’abandonnent à corrompre une œuvre pour satisfaire des idéologies liberticides, c'est bien la liberté d'expression qui est remise en cause. Les régimes totalitaires n'ont d'ailleurs jamais fait autre chose que d'interdire ou censurer même partiellement certaines œuvres ou certains artistes car non conformes à leurs idéaux moraux. 

Ainsi, derrière le combat pour le maintien du support physique, qu'il soit en DVD ou sous tout autre format se trouve le combat pour maintenir un patrimoine essentiel de notre culture, de notre histoire. 

Lumière ! l'aventure commence sorti en 2016 a pu montrer aux spectateurs du XXIème siècle les sociétés occidentales et d'ailleurs de la fin du XIXème siècle grâce à la conservation des supports physiques de ces films. Pas sûr que des films uniquement par streaming puissent être eux visionnables dans 100 ans et témoigner notre époque. Ce qui est peut-être d'ailleurs préférable finalement ! 

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