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Fritz Lang pendant l'Allemagne de Weimar

Fritz Lang pendant l'Allemagne de Weimar (1919-1933)

Né en 1890 à Vienne, en Autriche donc, Fritz Lang, fils d’une mère juive (qui se convertit au catholicisme en 1900), il découvre le cinéma en Autriche ainsi que les lectures qui le font voyager, notamment aux USA !

Plus tard il fait quelques études en architecture et était sensible à Adolf Loos, architecte rejetant notamment l’Art nouveau, et préférait donc l’épure et les lignes droites !

En 1911, il quitte Vienne pour Munich et poursuit ses études aux beaux-arts. En 1914, il est à Paris et découvre le cinéma « feuilletonnant » notamment Fantomas de Feuillade. Mais il y apprend aussi la déclaration de guerre puis quitte la France après l’assassinat de Jaurès (31 juillet 1914), rejoint Vienne puis s’engage jusqu’en 1918 où il est démobilisé 10 jours avant l’armistice. Or pendant sa mobilisation, il écrit des scénarios qui sont tournés au cinéma. Si bien qu’à la fin de la guerre, il rencontre le producteur allemand Erich Pommer (Deutsch Eclair = DECLA) qui le fait venir à Berlin. En 1919, il réalise son premier film et ne quittera plus l’Allemagne jusqu’en 1933.

Ainsi, le cinéma de Fritz Lang commence et correspond exactement à la République de Weimar.

Or, en 1947, le critique et sociologue allemand Siegfried Kracauer publiait De Caligari à Hitler, une histoire psychologique du cinéma allemand couvrant les années 1919 à 1933 et dans lequel il émettait l’hypothèse que l’analyse du cinéma allemand permettrait de comprendre comment la société germanique avait pu basculer vers le nazisme, en repérant les lignes de forces des films produits à cette époque.

Ainsi, le cinéma de Lang se serait-il lui aussi imprégné des mutations de la société allemande durant la République Weimar ? Et en quoi ses films donnent-ils des pistes de compréhension sur cette période comme ceux des autres grands cinéastes allemands que furent notamment Murnau, Wiene ou Pabst ?

       I.  Reconstruire l’Allemagne : le défi impossible de Weima   

1.   Les débuts difficiles de la République de Weimar : Contexte politique

Après l’armistice, le Reich ayant capitulé, l’Allemagne doit se reconstruire et fait tout d’abord face à une tentative de révolution d’inspiration communiste dite Spartakiste menée par Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, sur le modèle léniniste, si bien qu’une insurrection se lève à Berlin en janvier 1919, réprimée dans la violence par l’armée, s’étant rangée derrière le gouvernement socialiste : c’est la semaine sanglante du 6 au 13 janvier, poursuivie dans les autres Länder les semaines et mois suivants.

C’est donc dans ces conditions qu’en février 1919, à Weimar (ville du Land de Thuringe – centre Est de l’Allemagne), loin du tumulte berlinois, se réunit une Assemblée constituante élue et dominée par les Socialistes alliés aux Centristes. Celle-ci se lance dans la rédaction d’une constitution républicaine et démocratique sur le modèle britannique et français. L’Histoire des Länder conduisit à fonder une République fédérale et non unifiée.

Si le territoire de l’Allemagne n’a pas été envahi, la défaite met le pays dans une situation incongrue. L’Allemagne est le perdant d’une guerre dont il devient par le traité de Versailles du 28 juin 1919 l’unique responsable avec l’Empire austro-hongrois. Son territoire est disloqué, la France récupérant notamment l’Alsace et la Lorraine, et occupant la Sarre. La Pologne est refondée occasionnant la partition de l’Allemagne  de part et d’autre du fameux Corridor de Dantzig. C’est une perte de 88 000 km² et de 8 millions d’habitants, ce qui explique que l’Allemagne n’ait jamais reconnu ses frontières orientales.

Mais la sanction économique est encore plus redoutable. L’Allemagne est condamnée à verser 132 Milliards de Marks or /an pendant 30 ans ! Plus des tarifs douaniers revus à la baisse pour ses vainqueurs quand ils ne sont pas tout simplement supprimés pour certains territoires. L’Allemagne perd le contrôle de ses principaux fleuves et perd surtout toutes ses colonies au profit du Royaume Uni et de la France. Celle-ci récupère notamment le Cameroun.

L’Allemagne est alors exsangue et on comprend mieux pourquoi certains parlent déjà de DIKTAT de VERSAILLES.

De 1919 à 1923, le pays connaît une situation économique catastrophique, marquée par une inflation monstre après que le gouvernement n’a cessé de permettre aux entreprises de rembourser leurs dettes avec une monnaie dépréciée. Ainsi, quand le Mark or valait 46 Marks papier en janvier 1922, il en vaut 6 milliards en octobre et 1 trillion en décembre !

Ainsi, salariés, épargnants et petits entrepreneurs se trouvent-ils ruinés tandis que les grandes entreprises absorbent les petites. De cet épisode naît une désaffection de la population pour un régime incapable de les protéger.

Ceci explique pourquoi de nombreux groupuscules politiques agissent violemment pour renverser la République. L’attentat politique est fréquent et assassine des centaines de dirigeants politiques. 

Par exemple, en 1921, Hitler prend la tête d’un groupuscule anti Weimar qui devient le NSDAP (Parti national socialiste allemand des travailleurs) et qui se dote d’une milice : les SA. Hitler est arrêté après une tentative grotesque de coup d’Etat en 1923 à Munich.

2.    Les réponses artistiques aux débuts de Weimar

La défaite du Reich est marquée par une effervescence intellectuelle et artistique caractérisée par une volonté de remettre en cause un ordre jugé archaïque et fautif de la situation dans laquelle se trouve le pays.

Les artistes allemands, très engagés politiquement, constituent dès lors une avant-garde de la culture européenne.

À Weimar, par exemple, ne naît pas seulement une République fédérale. Ainsi, Walter Gropius va prendre la tête en 1919 de l’Ecole d’Art appliqués dont il fait le « Bauhaus », préconisant une esthétique fonctionnelle supprimant toute distinction entre art et artisanat. Les artistes doivent connaître leur société, travaillent dans les usines, déposent des brevets. Évidemment, une telle approche ne manquera pas de gêner les plus conservateurs et Hitler au pouvoir fera fermer cette école qualifiée d’ « antigermanique » et « dégénérée ».

Parallèlement au Bauhaus se développe un courant artistique né au début du XXème siècle, en réaction à l’IMPRESSIONNISME.

L’idée est assez simple : au lieu de vouloir transmettre les impressions faites par le monde extérieur, les expressionnistes veulent exprimer leur propre vision du monde et leur personnalité. Ils rejettent le conformisme « petit bourgeois » de la « Belle époque » et plongent à la fois dans la tradition germanique du Grünewald (peintre du début du XVIème siècle mettant en avant la tragédie, l’absence de naïveté, réalisme des douleurs physiques et morales) et celle plus contemporaine visant à exalter l’énergie vitale par un style valorisant la violence, dynamisme du geste, vitesse…

Parmi les grands artistes : George Grosz, Max Beckmann mais bien sûr aussi et surtout Otto Dix.

Au cinéma, les premières œuvres dites expressionnistes sont celles de Robert Wiene avec Le cabinet du docteur Caligari réalisé en 1919 et sorti sur les écrans en 1920. Suivent les films de Paull WEGENER (Le Golem, 1920) de F.W. Murnau (Nosferatu le vampire en 1922 ou Faust en 1926).

Ces films sont marqués par une esthétique forte, parfois avec de faibles moyens : forts contrastes, positions extrêmes des caméras, exacerbations des situations, des émotions et des sentiments, angles saillants..

3.   Fritz Lang et l’expressionisme : une histoire tardive ?

Le producteur qui fit venir Fritz Lang à Berlin, Erich Pommer, lui proposa le projet du Cabinet du Docteur Caligari.  Mais le cinéaste le refusa car il craignait que l’expressionnisme ne soit pas au goût du public. Il tournait également un autre film Les araignées.

Voilà ce que Lang raconta d’ailleurs, avec toutes les limites qu’on peut accorder à ses témoignages :

« […]Je crois que ma seule contribution à ce film fut de dire : Mes enfants, vous ne pouvez pas le faire comme ça, vous allez trop loin. L’expressionisme au point que vous le voulez, ce n'est pas possible. Ça effraiera trop le public. C'est alors que j'ai proposé l'action à tiroirs. On a accepté cela et on a fait se dérouler le début dans un asile d'aliénés. Si j'avais mis le film en scène, j'aurais simplement traité le prologue et l'épilogue de manière tout à fait réaliste, pour exprimer qu'il s'agit là de la réalité, alors que la partie centrale décrit un rêve, la vision d'un fou. D'ailleurs, c'est un thème qui m'a toujours beaucoup intéressé et qu'on retrouve aussi dans Mabuse ».

En 1921, il tourne cependant avec Thea von Harbou Les trois lumières qui s’inscrivent certainement dans le courant expressionniste marqué par un pessimisme terrible et renvoyant, déjà, à la culture et tradition germanique. Le film constitue le premier grand succès international de Lang qu’il enchaine avec Docteur Mabuse le joueur l’année suivante (1922) s’inscrivant dans le contexte de la crise terrible que traverse la République de Weimar, où se côtoient la misère absolue et l’indécence de la richesse de certains, et pendant laquelle des chefs de factions semblent pouvoir prendre le pouvoir par démagogie… ou par la force.

Francis Courtade dans Cinéma expressionniste en 1984 en rapportant que « Lang s'est toujours défendu d'avoir été expressionniste », commente : « On peut le comprendre : un vrai créateur n'aime pas les étiquettes et d'autre part, Lang n'a réalisé qu'un film qui puisse être entièrement qualifié d'expressionniste. Mais l'expressionnisme, consciemment ou non, l'a marqué ». Comme en témoigne l’ombre du tueur sur l’affiche dans M.     

              II.    Autour de Metropolis : une éclaircie sous Weimar ?

L'histoire se situe à Metropolis, mégapole du futur, où le système de classes est divisé en deux parties distinctes : d'un côté les riches, confortablement installés dans les derniers étages d'immenses buildings, de l'autre des hommes et des femmes qui, tels des fourmis ouvrières, maintiennent, dans les profondeurs, les machines de la cité en marche. Mais une passion, façon Roméo et Juliette, va bousculer l'ordre établi. Le riche Freder, fils du grand manitou, tombe amoureux de la pauvre et rebelle Maria qui entend sonner la révolte et annonce la venue prochaine d'un messie. 

Metropolis fut, à sa sortie, un échec commercial entraînant l'industrie du cinéma allemand dans une situation financière très difficile.  Du point de vue critique, l'écrivain H. G. WELLS a vu le plus stupide des films !", Bunuel parle "de deux longs collés par le ventre", en référence aux mutilations subies pour des raisons commerciales et de censure.

Pourtant ce film s’inscrit dans un moment particulier de l’Allemagne : pour la première fois depuis la défaite de 1918, le pays semble aller mieux. Et le film semble vouloir refléter cette transformation.

1.  Une représentation sociale pleine d’espoir ?

Le film évoque une société futuriste, urbaine où chaque habitant travaille et a un logement. Certes le début du film montre ces ouvriers comme lobotomisés, uniformisés et vivant dans des immeubles souterrains, tandis que les plus riches vivent dans des belles demeures, jouissent des différents plaisirs et sont oisifs.

Si le propos est évidemment critique, il ne présente pas pour autant une société de chaos marqué par la crise économique. Il faut dire que le pays connaît une embellie inouïe depuis la fin de 1923. Le chaos n’arrivera qu’après 1929.

À la fin de 1923, le gouvernement établit une nouvelle monnaie (le Rentenmark) qui redonne confiance autant aux Allemands qu’aux entreprises et financiers, malgré une situation de banqueroute de fait. Le résultat d’assainissement est tel que le Mark est à nouveau en vigueur en août 1924 dont la valeur est établie à nouveau par rapport à l’étalon or.

La confiance attire à nouveau les capitaux étrangers et l’industrie allemande, compétitive grâce à des salaires faibles et des syndicats réformistes, retrouve une prospérité incroyable avec des investissements dans des nouveaux matériels, des nouvelles machines, des nouvelles organisation de travail apportant des gains de productivité : taylorisation et travail à la chaîne deviennent la norme si bien qu’en 1927, l’Allemagne devient la première productrice mondiale pour les industries mécaniques, pour la chimie (IG Farben), pour l’électricité ou encore l’optique.

Ce renouveau économique, quoiqu’encore fragile, apporte de fait une accalmie politique mais avec un glissement vers la droite de l’échiquier politique, repoussant les partis extrémistes. Du moins temporairement.

Metropolis s’inscrit ainsi dans cette période de transition, entre aspiration d’amélioration des conditions sociales, développement d’une industrie allemande modernisée et réflexion sur les liens entre les dirigeants économiques et le peuple.

De ce point de vue-là, on ne peut que trouver particulièrement naïf le discours de Lang sur la relation entre les ouvriers (la main) et les patrons (le cerveau) harmonieuse par l’intervention d’un médiateur (le cœur).

Mais qui serait ce cœur ? Les syndicats ?

2.   Un film du Bauhaus  ou expressionniste?

La volonté de Walter Gropius, le fondateur du Bauhaus,  était multiple :

-      Réconcilier l’art et l’industrie

-      Promouvoir une esthétique moderne inspirée de la machine

-      Réduire la forme de l’objet à ses composantes élémentaires.

De ce point de vue-là, Metropolis semble cocher toutes les cases.

Mais si l’influence du Bauhaus est évidente dans Metropolis, celle de l’expressionnisme ne l’est pas moins.

A l’automne 1926, Fritz Lang reçoit un rédacteur de Die literarische Welt et se prononce sur l’avenir du cinéma allemand. À partir de l’exemple de la poursuite dans les catacombes de Metropolis, au cours de laquelle l’ingénieur Rotwang saisit la jeune fille Maria en l’attrapant pour ainsi dire avec le rayon de lumière de sa torche, Fritz Lang déclare :

«L’acteur n’agira plus dans un espace où il semble se trouver par hasard ; l’espace sera façonné de telle sorte que tout ce que l’homme vit en son sein ne paraîtra possible et logique que dans cet espace-là.»

Et de résumer : «un expressionnisme très subtil harmonisera alors les décors, les accessoires et les actions». Autrement dit, pour Lang, l’expressionnisme au cinéma est caractérisé par une conception de l’espace, comme un espace dramatisé et travaillé selon des exigences expressives.

Mais hormis l’espace, c’est bien dans son travail sur les contrastes, ses positionnements de caméra avec des plongées extrêmes, avec l’exacerbation des réactions des personnages que Metropolis est un film pleinement inscrit dans l’expressionnisme.

3.  Les prémisses du nazisme dans le film ?

En 1924, Lang réalise Les Nibelungen renvoyant à la tradition germanique (légende du XIIIème siècle – « Ceux de la brume » ou « Ceux du monde d’en bas ») ayant inspiré le compositeur Richard Wagner. Le projet tenait à cœur à Thea von Harbou mais Lang en proposa une version plus humaine que celle du compositeur. Si les nationalistes furent partagés par le rendu final (même si Goebbels  en 1933 en fit une œuvre majeure pour les nazis), les représentations des nains renvoient aux caricatures antisémites et la fin du film offre une vision extrêmement pessimiste.

En 1927, Metropolis reprend en quelque sorte cette idée de traiter de « Ceux du monde d’en bas » mais en plongeant son récit cette fois-ci dans le futur.

Mais indéniablement, Metropolis montre d’abord un modèle totalitaire, vertical, dans lequel le peuple doit obéir sans réfléchir à un chef qui décide pour lui.

Il y a ensuite une représentation d’un être nuisible qu’est le savant Rotwang qui pousse les ouvriers à se révolter en usant de ruses et en se servant d’un androïde ressemblant à Maria (le cœur) donnant des ordres insurrectionnels. Or l’élimination de Rotwang, au physique proche des caricatures juives des rabbins, ramène la paix. Enfin, comme le rappelle Michel Ciment,

« cette idéologie de l’alliance du capital et du travail, où les exploités sont montrés passifs et soumis, annoncent le fondement de l’Etat nazi ».

Lang, lui, avouera rétrospectivement : "Quand je le faisais, je l'aimais. Après, je l'ai détesté." Si certains voudraient faire de Thea von Harbou celle qui introduisit une idéologie proche du nazisme dans le film, Lang ne se défila pour autant jamais, assumant pleinement la réalisation et la responsabilité de son film. Car Fritz Lang assumait aussi le rôle du cinéaste comme témoin de son temps :

"Peut-être réussirai- je (...) à prouver ce qui a souvent été contesté, que le cinéma est en mesure de mettre à nu des processus mentaux, donnant ainsi un fondement psychologique aux événements dans leur nudité."

Sa prise de conscience vis-à-vis du nazisme n’allait pas tarder

III.  De l’échec de Weimar à la dénonciation du nazisme

  1.   Les échecs de la République de Weimar

La crise américaine de 1929 et le krach boursier a eu des répercussions dans toute l’Europe mais plus particulièrement en Allemagne dont le regain économique depuis la moitié des années 20 reposait sur un endettement extérieur colossal, notamment vis-à-vis des USA. Or avec la crise, les investissements américains vont reculer immédiatement (250 millions de dollars investis en 1928, 40 millions en 1929). Se rajoute un recul immédiat des importations américaines en provenance d’Allemagne : entre 1929 et 1932, c’est un recul de 52% en valeurs des importations américaines en provenance de ce pays ! Ce qui entraîne donc un recul de la production industrielle en Allemagne d’autant plus que Royaume Uni et France suivent les mesures protectionnistes américaines.

Toute l’économie allemande est impactée. Une des quatre grandes banques fait faillite, le gouvernement réduit les importations, les prix agricoles s’effondrent tandis que les revenus de l’Etat diminuent alors que ses charges augmentent.

Les conséquences sociales sont terribles même si les salariés restent privilégiés sans perte réelle de revenus. En revanche, le chômage explose passant de 600 000 chômeurs en 1928 à plus de 6 millions en 1932 ! C’est la seconde crise sociale majeure que subit le pays depuis 1918 avec 60% de la population touchée par les problèmes d’emplois, une augmentation de la pauvreté et des suicides.

Et le cinéma ? Comme le rappelle Marc Ferro, Fritz Lang est un précurseur dans l’utilisation du fait divers comme symptôme permettant de comprendre la société comme le firent après lui Jean Renoir (Le crime de Monsieur Lange), Vittorio de Sica (Sciuscia) ou Claude Chabrol (Violette Nozières). Et c’est sur ce terreau sociétal et social que Fritz Lang construit M le maudit.

Amateur des publications relatant les faits divers, il est aussi contemporain du juriste Hans Kelsen préconisant une science juridique dépouillée de considérations morales.

Ainsi, Lang s’empare de l’histoire de Peter Kürten, criminel en série de petites filles dans les années 20 et appelé « Le vampire de Düsseldorf ». Il en tire un film dans lequel il oppose les institutions officielles de la République de Weimar au syndicat du crime.

L’ordre légal est incapable d’arrêter le tueur, malgré les moyens mis en œuvre (empreintes digitales, recherches méthodique, témoignages).

Le syndicat du crime voit dans l’assassin un nuisible qui empêche les autres criminels de faire leur business et décide lui de recourir au peuple pour l’aider à l’arrêter.

Certains ont pu faire un parallèle entre ce syndicat du crime et les SA nazis. Il faut dire que tout s’y prête. Schraenker, le chef des bandits, est habillé de cuir et de gants noirs, dirige des criminels avec une autorité réelle, s’appuie sur des principes visant à éliminer ceux qui sont considérés comme des nuisibles. D’ailleurs, Thea von Harbou, la scénariste, ne partageait-elle pas ces idées au point de devenir membre du parti nazi officiellement pendant la guerre ?

Mais à mieux y regarder, le film, s’il est sans concession pour Weimar, n’en est pas non plus un appel à rejoindre les idées d’Hitler. Il s’agit davantage de dénoncer un régime incapable de protéger les citoyens de tout ce qui les menace malgré l’utilisation de tous les moyens possibles. Y compris dans ce qu’il y a de plus nouveau, à commencer par les approches psychologiques, pour ne pas dire psychanalytiques – les travaux de Freud sont contemporains à Fritz Lang - pour déterminer le profil de l’assassin.

C’est cette inefficacité qui est présente dans le film, avec une rupture entre les institutions et le peuple. Mais Lang, pour qui M est son film préféré (il va jusqu’à le dire dans Pierrot le fou) a toujours prétendu qu’il voulait dénoncer la peine de mort. Et la plaidoirie finale va dans ce sens. On est donc loin d’un discours pro-nazi. Et le carton final résonne davantage comme une défiance vis-à-vis de Weimar qu’une adhésion à un parti violent.

2.   Les derniers soubresauts de la démocratie

Pour répondre à la crise, le gouvernement réduit les salaires des fonctionnaires, augmente les impôts indirects, intervient de plus en plus dans l’économie en rachetant des entreprises en difficulté, contrôlant les banques. Tout ceci ne plaît pas du tout au monde des affaires !

En 1925, Hitler publie Mein Kampf écrit en détention. Il crée une autre milice, les SS (SchutzStaffeln : Brigades de protections)  pour équilibrer les SA. Mais s’il reste un parti marginal, son audience croit dès la crise de 1929 recrutant des adhérents en grand nombre (200 000 en 1930) venant de tous les groupes de la population touchés par la crise : paysans, ouvriers, petite bourgeoisie, jeunesse, femmes, aidant même les plus pauvres à lutter contre la misère. Il touche enfin les patriotes sincères humiliés par le DIKTAT de Versailles.

Hitler est en position de force en 1930 remportant 6,5 millions de voix et 107 sièges au Parlement. Mais il refuse le poste de Chancelier qui lui est offert car il pense pouvoir battre le président Hindenburg aux prochaines élections de 1932. Or c’est le vieux général qui l’emporte à nouveau.

Le chancelier Brüning fait alors interdire SA et SS mais Hindenburg le remplace par Franz von Papen qui a la confiance des dirigeants économiques.  Les derniers mois de 1932 sont donc marqués par une paralysie de la République. Des nouvelles élections législatives de novembre donnent le parti nazi à nouveau premier mais en recul.

Pourtant, parce que Hitler s’est rapproché des dirigeants des grandes entreprises industrielles (Krupp, Thyssen…) et parce qu’il promet de repousser la menace communiste avec un gouvernement fort, capable de relancer l’économie, notamment par le réarmement (ce qui ne pouvait que satisfaire l’industrie sidérurgique !), Hitler est désigné Chancelier du Reich.

3.   Du chaos à un ordre nouveau : la prophétie du Docteur Mabuse ?

Avec 35% des voix en novembre 1932, la coalition qui avait mis en place la République de Weimar, ne représente plus grand-chose car elle n’a pas pu s’entendre sur une politique ferme vis-à-vis notamment des séditieux qui en appelaient à un ordre nouveau. Elle a échoué aussi dans sa politique sociale poussant une partie de la classe ouvrière à voter communiste.

Car ceux qui décidèrent de choisir Hitler comme chancelier font partie des élites du pays : s’ils n’adhéraient pas à son idéologie et encore moins à ses méthodes, ils ont vu en lui un moyen de faire barrage au communisme, quitte à remettre en cause les principes démocratiques de la République de Weimar.

Or c’est bien de ce contexte de pression du nazisme sur la République de Weimar que Fritz Lang réalise Le testament du Docteur Mabuse 10 ans après le premier opus lui étant consacré. Mabuse est un leader post-mortem, il inspire les élites de ses propos insensés visant à créer le chaos dans la société pour que celle-ci se retourne vers ceux qui lui promettent d’y mettre fin. En 1943, Fritz Lang déclarait avoir mis dans son film des slogans et des éléments de la doctrine nazie dans la bouche du criminel afin de montrer la réalité de cette idéologie : détruire ce qu’il y avait de plus cher pour la population pour mieux prendre le pouvoir ensuite.

Les spectateurs auraient pu faire les analogies avec des événements récents comme lorsque les communistes participèrent avec les Nazis à une grève sauvage des transports en commun à Berlin, créant un chaos dans la capitale. Le chaos ne pouvait profiter in fine qu’au parti d’Hitler ! Et les élites subjuguées par lui se firent finalement les meilleurs porte-paroles de son idéologie comme est subjugué le médecin  tandis que l’inspecteur Lohmann, le même que dans M le maudit (et toujours interprété par Otto Wernicke) essaye lui de mettre fin aux agissements de Mabuse, refusant de tomber dans le panneau du pseudo discours génial du maître du crime.

Tourné à Berlin et à proximité de Potsdam entre septembre 1932 et janvier 1933. Or Adolf Hitler devient chancelier le 30 janvier, le Reichstag brûle le 27 février et les élections du 5 mars donnent la majorité aux Nazis. La première du 24 mars est ajournée, et la commission de censure interdit le film le 29 mars faisant dire à l’expert Walter Orbe « Je ne puis m’empêcher d’exprimer mon étonnement devant le fait que l’on ose, en ce moment précis, tenter de présenter un tel film au peuple allemand. Si la censure n’existait pas en Allemagne, il suffirait à en démontrer la nécessité. »

CONCLUSION

Si comme le rappelle Michel Ciment, son départ de l’Allemagne nazie ne s’est pas passée comme il le prétend à l’issue d’une rencontre avec Goebbels voulant lui donner le direction de la UFA, on sait qu’il partit tout de même définitivement de Berlin pour la France d’abord, puis pour les USA. Entre temps, il avait divorcé de Thea von Harbou le 20 avril 1933 après lui avoir été infidèle à plusieurs occasions tandis qu’elle rejoignait le parti nazi.

L’histoire de Lang et de Weimar s’acheva donc par ce dernier film allemand, abandonnant son pays à un dictateur qui, bien qu’instituant le IIIème Reich, n’abolit jamais dans les faits la République de Weimar.

Lang en revanche, œuvra dans son cinéma contre ce régime en réalisant 4 films anti-nazis dont Les bourreaux meurent aussi écrit avec Brecht ou, en premier lieu Man hunt (chasse à l’homme) dans lequel la notion de Crime contre l’humanité commis par Hitler était déjà mentionnée. Le film date de 1942.

 

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