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Thierry Frémaux : Que Vive Bertrand Tavernier

Thierry Frémaux avait écrit un texte en hommage à Bertrand Tavernier après que celui-ci nous avait quittés le 25 mars 2021.  Les lecteurs de ce texte savaient combien le directeur de l’Institut Lumière dont le cinéaste était le président n’avait pas pu tout dire. Si nous avions su que nous l’aimions tant, nous l’aurions aimé davantage, vient (presque) combler tous les mots qui manquaient pour témoigner de l’importance du cinéaste dans la vie de l’auteur.

Le livre s’ouvre et se clôt sur les moments qui ont suivi le décès du réalisateur de L’horloger de Saint Paul. Détails intimes, émotion retranscrite de ce que Thierry Frémaux et les proches de Bertrand Tavernier ont ressenti. Si ces chapitres touchent évidemment le lecteur, ce sont bien les chapitres situés entre qui permettent de comprendre à la fois qui était le cinéaste et ce qui le liait à l’auteur. Car il ne s’agit pas d’une biographie exposée de manière universitaire et chronologique, bien que l’ouvrage soit très documenté et érudit. Non, ce livre semble naviguer au gré des moments qui surgissent auprès de l’auteur tout comme les souvenirs viennent par plaques entières sans aucun ordre logique quand un être cher nous quitte. Des pans entiers d’histoires et d’Histoire se déroulent, pages après pages. De leur première rencontre à Lyon autour d’un projet fou, édifier une cinémathèque à Lyon, lieu de naissance du cinéma à leurs échanges téléphoniques sur des sujets divers mais surtout sur le cinéma en passant par l’histoire de la gauche française des années 70.

Les lecteurs qui connaissaient Tavernier reconnaitront sa truculence et sa gourmandise. Truculence dans les mots que tout le monde entendaient, toujours les mêmes quand il s’agissait de louer la qualité d’un film. Et sa gourmandise de découvrir des œuvres inconnues ou de revoir celles qu’il aimait tant. Mais sa gourmandise aussi de la littérature, du jazz et du partage. Ceux qui ne le connaissaient que par ses films découvriront un personnage hypermnésique, se rappelant de tout, travaillant férocement ses sujets, que ce soit ses livres sur le cinéma américain ou son documentaire sur le cinéma français, se battant pour produire des films de fiction insensés comme La vie et rien d’autre, échangeant avec les plus grands cinéphiles du monde pour établir une histoire du cinéma la plus juste possible, dialoguant sur son blog avec les amoureux de John Ford ou de Michel Audiard.  Mais étant aussi critique des films des autres avec parfois magnanimité que critique des siens avec sévérité.

L’hommage rendu par Thierry Frémaux est celui de quelqu’un qui a aimé un homme comme son père, comme son ami, comme son mentor. De celui qui le défend aussi post mortem. Pas pour les jugements portés sur ses films mais sur la malhonnêteté intellectuelle certains titres de presse de gauche à l’encontre de ce cinéaste… de gauche. Le chapitre est féroce. Il est celui d’un homme certes blessé mais qui, en rappelant qui fut Tavernier, signale aux lecteurs ce que certains de ses contempteurs ne seront jamais.

Le livre est aussi et peut-être surtout un objet littéraire formant un triptyque avec les deux ouvrages précédents de l’auteur. Sélection officielle plongeait le lecteur dans le quotidien du directeur du festival de Cannes quand Judoka évoquait comment le judo avait participé à sa construction d’homme de manière complémentaire à sa formation universitaire, Si nous avions su que nous l’aimions tant, nous l’aurions aimé davantage apparaît comme la clé de voûte entre les deux précédents. Il permet de comprendre, parce qu’évidemment nous en apprenons beaucoup sur l’auteur aussi, comment a pu se développer cette relation d’amitié et d’amour entre le cinéaste et celui qui n’était au début qu’étudiant et déjà bénévole pour Radio Canuts.  Une relation qui s’est bâtie autour de cette aventure appelée d’abord Institut Lumière puis Festival Lumière et qui allait imposer Lyon et le cinéma classique dans le paysage cinématographique international. Cette amitié s’est nourrie d’un côté des connaissances encyclopédiques du cinéaste, sur ses rencontres parfois anciennes de son époque de la Cinémathèque de Paris le conduisant à interviewer ensuite des cinéastes américains qu’Hollywood oubliait déjà. Ceci ne pouvait qu’enthousiasmer Thierry Frémaux qui défendait autant les cinéastes pointus que les films jugés parfois trop populaires. Ce sont enfin des déambulations, anciennes ou récentes, dans les rues parisiennes ou lyonnaises, que Thierry Frémaux évoque, constituant une sorte de maillage cinéphilique l’amenant à la rencontre, grâce à Bertrand, de ces personnes qui ont fait le cinéma d’antan. C’est toute cette histoire, intime et nourrie, que Thierry Frémaux donne à lire, rappelant au passage que le cinéma français s’est construit autour d’individus parfois inconnus du grand public et pourtant éminemment importants.

 

Avec Si nous avions su que nous l’aimions tant, nous l’aurions aimé davantage, Thierry Frémaux évoque donc une époque révolue, celle d’un cinéaste amoureux du cinéma et qui (re)connaissait ceux qui avaient participé à son importance. Il aurait certainement mérité le prix Lumière récompensant ceux dont l’œuvre et l’influence sur la cinéphilie mondiale sont importantes. Mais celui qui fut le premier président de l’Institut Lumière ne pouvait pas, en toute déontologie, être le récipiendaire de ce prix. Nul doute que ce livre au titre adapté d’une citation de Frédéric Dard, constitue une sorte de récompense posthume et contient tout ce qu’aurait pu dire Thierry à son mentor Bertrand s’il avait pu lui remettre ce prix.

 

Si nous avions su que nous l’aimions tant, nous l’aurions aimé davantage, Thierry Frémaux, 2022, éd. Grasset.

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