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De grandes espérances : La femme est un politicien comme un autre

Sylvain Desclous signe un film étonnamment dans l’air du temps, conforme aux idées qui traversent le cinéma en général et français en particulier. Mais son scénario malin met justement cet alignement consensuel dans un sillon finalement original et bien plus transgressif qu’il n’y paraît.

Ah ces méchants hommes !

Afin d’ôter tout suspens, De grandes espérances est un film qui fait la part belle aux femmes. Pas une n’est présentée sous un angle négatif. Et quand bien même des reproches pourraient leur être faits, il est rapidement montré de bonnes raisons à leurs erreurs, renoncements, crimes… ce que vous voudrez. Madeleine, l’héroïne interprétée par Rebecca Marder, est issue d’un milieu très populaire et son idéal social sans concession est évidemment présenté comme une qualité rare. Ce que ne manque pas de découvrir Gabrielle Dervaz, une députée, ancienne ministre. Forcément elle aussi incarne une femme volontaire, courageuse, progressiste même si elle a dû faire des concessions. Les autres femmes sont tout aussi positivement caractérisées. Une avocate tenace, forte. Une juge d’instruction tout aussi puissante, à l’écoute et pas enfermée dans ses convictions. Et que dire de l’ouvrière qui tient tête au ministre. Discours construit, efficace, argumenté. Aucun spectateur ne pourrait donner tort à une telle démonstration de la difficulté de la condition ouvrière.

Au contraire, aucun des personnages masculins ne semble trouver grâce au réalisateur. L’avocat, père du héros, dont on peut apprécier son regard lucide sur les revendications de gauche avant de comprendre qu’il défend des financiers à reprendre des entreprises qu’ils vont revendre à la découpe. Le Corse dont la colère d’abord légitime se transforme en orgueil mal placé, violent et misogyne. L’assistant de la députée, qui rechigne à évoquer des boules puantes dans le combat politique mais qui propose quand même à y recourir. Seul le père de Madeleine agit comme un homme bien. Mais le scénario n’aura pas manqué de rappeler qu’il s’est mal comporté avec sa fille quand elle faisait ses études qu’elle a dû financer seule. Et on ne parle pas du DRH de l’usine n’ayant aucune empathie ou du ministre complètement à la solde du grand capital. Quant à Antoine (Benjamin Lavernhe), fils de bourgeois avocat, son courage et ses convictions sociales s’effondrent dès que sa prétention de classe se confronte à la réalité du terrain. Sa relation avec Madeleine en adoptant ses idées sociales radicales témoigne d’une sorte d’excuse d’être bien né jusqu’à ce que sa lâcheté ne cesse de s’amplifier à l’écran.

Ah cette méchante droite

Le film ne s’embarrasse pas de nuances non plus dans la caractérisation des idées politiques. Certes Gabrielle, députée de gauche – socialiste ? – est une amie du père d’Antoine, clairement de droite. Mais le ton est rapidement donné. Le capitalisme c’est mal, les idées de gauche, c’est bien. Et la saillie drôle du père d’Antoine se moquant de son discours quasiment mélenchonien sur la terrasse d’une villa en Corse devant une bouteille de Clos Vougeot ne met en difficulté que son fils. Car le reste du film est une ode au courage de ceux qui combattent les méchants entrepreneurs qui ne pensent qu’à une chose : faire du fric sur le dos des ouvriers. Le champ sémantique utilisé est d’ailleurs clairement péjoratif quand il s’agit de parler de tout ce qui évoque la droite – sans que le mot ne soit lui prononcé. Mais c’est surtout la notion même d’abandon de ses idées « de gauche » pour aller vers « la droite » qui martèle le discours : la gauche, c’est bien, la droite, c’est mal.

Car en effet, ce sont bien les idées de gauche qu’il faut louer. Madeleine en est l’incarnation. Si Antoine est dans l’abandon de ses idéaux – en avait-il seulement ? – Madeleine elle se donne corps et âme en rejoignant la députée. Elle travaille les dossiers à fond pour pouvoir coincer le DRH. Même emprisonnée, elle continue à produire des textes pour Gabrielle. Elle incarne le non-renoncement. Et si Gabrielle devenue ministre réduit l’ambition de son texte de loi sociale, ce n’est pas par lâcheté ou compromission ou même abandon de ses idéaux, mais bien par pragmatisme pour faire avancer petit pas par petit pas ses réformes sociales. Et bien sûr face aux forces contraires, dont on comprend qu’elles sont évidemment de droite, donc non humanistes.

Mais un récit moins manichéen que ça

Derrière une telle partition des rôles, les gentils contre les méchants, le film de Sylvain Desclous aurait pu rapidement sombrer dans ce que de nombreux films dits sociaux ne cessent d’asséner. Sauf que l’ingéniosité du scénario est de placer cette partition caricaturale comme une toile de fond servant en réalité une histoire de faits divers transformé en sorte de polar qui commence en Corse, qui se poursuit dans la région lyonnaise pour se clore enfin à nouveau en Corse.

D’un meurtre perpétré par Madeleine dans des circonstances qui auraient pu lui attirer la compréhension de jurés, le scénario se sert et développe toutes les caractérisations de ses personnages principaux, Madeleine et Antoine, pour les faire évoluer ensuite dans un monde manichéen, celui présenté déjà en introduction. De ce meurtre qu’Antoine a voulu effacer, le réalisateur réussit effectivement à le faire disparaître de l’histoire. Momentanément. Pour le faire réapparaître progressivement, sournoisement et enfin diaboliquement.

Certes la dichotomie hommes/femmes ou celle droite/gauche auraient pu être plus nuancées mais elles servent finalement à mieux accrocher la réelle histoire du film, ce meurtre dans lequel Madeleine et Antoine sont impliqués et qui va participer à révéler leur vrai visage et de fait leur vraie personnalité.

Un scénario enfin suffisamment malin pour joncher les séquences d’images dont on peut penser qu’elles vont servir à la séquence suivante, pour ensuite se dire qu’elles n’étaient  d’un grand intérêt pour enfin surgir comme une évidence dans le scénario dont la fin est à la fois attendue, inespérée et totalement immorale.

 

De grandes espérances propose donc un scénario totalement dans le discours contemporain dans lequel les hommes n’ont plus le beau rôle, et ce n’est rien de le dire, dans lequel les idées de gauche sont brandies comme des étendards habituels du cinéma français, mais dont la finalité est en réalité bien plus intéressante et subtile. Moins qu’un film militant, Desclous a posé don histoire dans un récit désormais attendu du cinéma français pour en tirer une fin ressemblant à un happy end satisfaisant les spectateurs mais dont la morale ne devrait en définitive réjouir personne. En tout cas pas une société qui fonctionne bien. Et c’est tout le mérite de Syvain Desclous et de son coscénariste Pierre Erwan Guillaume.

Lionel Lacour

De grandes espérances de Sylvain Desclous, sortie le 22 mars 2023.

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